Dans les coulisses des sociétés modernes, une guerre silencieuse se joue. Elle ne fait pas couler le sang, mais elle assèche l’âme. Elle ne brûle pas les corps, mais elle efface le vivant. Cette guerre, c’est celle de l’idéologie contre la vérité, de la fiction contre le réel, de l’identité juridique contre l’humanité. Et à l’intérieur de ce théâtre bien huilé, deux personnages agissent comme rouages essentiels : l’Homo Crétin et l’Homo Deus.
Ils ne sont pas des monstres. Ce sont des rôles. Des fonctions sociales. Des masques. L’un obéit sans comprendre. L’autre commande en croyant savoir. Et tous deux participent, souvent sans haine, à la reproduction d’un mal systémique. Ce mal n’est pas spectaculaire. Il est banal, insidieux, quotidien. Comme l’avait décrit Hannah Arendt, c’est la banalité du mal : la capacité de commettre l’injustice en souriant, par conformité, par routine, par croyance dans le système.
L’Homo Crétin n’est pas idiot au sens clinique. Il est domestiqué. Formé, formaté, certifié. Il a fait ce qu’on attendait de lui : école, diplôme, métier, protocole. Il se définit par ses fonctions : « Je suis travailleur social », « Je suis inspecteur », « Je suis juge », « Je suis enseignant ». Il ne doute pas de sa place. Il ne doute pas de la règle. Quand on lui dit que son action détruit un être humain, il répond : « Je fais mon travail. »
Il est la réincarnation moderne de ceux qui ont conduit les trains vers Auschwitz en affirmant : « Moi, je n’ai fait que conduire. » Il est celui qui regarde les faux, les injustices, les abus, et ne bouge pas. Il se réfugie derrière l’ordre établi, sans jamais se demander si cet ordre est juste. Et pourtant, nul n’est censé ignorer la loi — et surtout pas la loi naturelle, celle qui précède les codes, les décrets, les circulaires.
L’Homo Deus, lui, ne suit pas. Il guide. Il se croit investi d’une mission. Il a lu Platon, Descartes, parfois le Zohar ou Hermès Trismégiste. Il pense que sa connaissance secrète, antique, ésotérique, le place au-dessus du commun. Il ne croit plus en Dieu, mais en lui-même. Il ne parle plus d’égalité, mais d’élévation. Et derrière sa volonté de guider l’humanité se cache un projet plus sombre : celui de contrôler, de normaliser, de dominer.
Car l’Homo Deus agit avec un ego divinisé, persuadé que son intelligence le rend légitime. Mais il oublie que la vérité ne s’impose pas, elle se vit. Il oublie que nous sommes tous des alter egos égaux, et qu’aucun savoir, aussi vaste soit-il, ne justifie qu’on prenne autorité sur un autre vivant. Sa ruse ? Ne jamais dévoiler tous les paramètres de l’équation. Garder pour lui les clefs du sens. Offrir des symboles sans les traduire.
Le vrai piège, c’est la confusion. Confusion entre l’identité juridique et l’être vivant. Confusion entre l’esprit et le corps. Confusion entre le droit positif et la loi naturelle. On nous fait croire que nous existons par la pensée – « Je pense donc je suis » – alors que seul le corps est repérable, démontrable, réel. L’esprit, lui, relève du spirit, de la croyance, du libre-arbitre.
Et c’est là que l’Homo Deus nous piège : il manipule la spiritualité comme il manipule le savoir. Il la range dans des loges, des grades, des initiations. Il prétend conduire l’homme vers la lumière, mais cette lumière est artificielle. Ce n’est pas le soleil, c’est un écran. Ce n’est pas la foi, c’est une doctrine. Ce n’est pas la vérité, c’est un programme.
Ce texte n’est pas une plainte. C’est une déclaration de souveraineté. Je ne suis pas un rôle, ni un matricule, ni un cas. Je suis un être humain vivant, porteur de la loi naturelle, et personne n’a autorité sur moi, pas même celui qui pense savoir. Je n’écris pas pour faire peur, ni pour convaincre. J’écris pour rappeler que le sens n’est pas mort, qu’il peut encore être reconquis.
Pas par les armes, mais par la parole. Pas par l’idéologie, mais par le souffle. Pas par les fictions, mais par la reconnaissance mutuelle entre vivants.